Geneviève Asse, au-delà de ses toiles immenses, ses carnets secrets et ses gravures minuscules

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Geneviève Asse, au-delà de ses toiles immenses, ses carnets secrets et ses gravures minuscules

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Geneviève Asse en 2009
Geneviève Asse en 2009
© Getty - Catherine Panchout/ Sygma

L'artiste Geneviève Asse, connue pour ses grandes toiles bleues aux lignes verticales vertigineuses, s'est éteinte ce 11 août. Si son "bleu Asse" qualifie l'essentiel de son œuvre, il ne faut pas oublier ses gravures auxquelles elle attachait autant d'importance qu'à la peinture, ni la collection de ses petits carnets.

La peintre Geneviève Asse, inclassable et totalement indépendante de tout courant artistique, s'est éteinte à l'âge de 98 ans, après avoir consacré sa vie et son travail d'artiste à une recherche incessante du bleu, non pas monochrome, mais sculpté de lumière. Ses grandes peintures n'ont pas de rapport direct avec le paysage, la mer ou le ciel, elle a retourné la ligne d''horizon pour en faire une verticale à dimension plus spirituelle. Il y a au-delà des immenses toiles que l'on connait d'elle, une œuvre toute aussi intéressante, dans ses carnets et ses gravures.       

Des petits carnets pour de grandes méditations

On pourrait faire une exposition miniature avec les carnets de Geneviève Asse, chacun d'eux étant une œuvre d'art à part entière. Ces carnets, de 21 centimètres sur 14 environ, c'est surtout dans sa maison de l'Ile aux moines, dans le golf du Morbihan, qu'elle les déployait, page à page ou en accordéon. 

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Ici la silhouette rouge vif d'un minaret, là des lignes verticales bleus qui s'évanouissent dans le blanc, là encore une ligne horizontale courant sur toutes les pages tirées en accordéon. Graphite, encre ou peinture à l'huile, on y trouve différentes techniques, mais ce ne sont pas des carnets de croquis préparatoires pour ses grandes peintures bleues. Ce ne sont pas non plus des carnets constitués au fil des voyages ou des promenades. Ce sont des dispositifs autonomes, à la disposition de celui qui voudra bien les ouvrir. A l'origine ils étaient prévus pour être à la seule disposition de l'artiste, jusqu'à ce qu'elle accepte qu'ils soient montrés lors d'une grande exposition au Centre Pompidou, en 2013, sous l'égide du chef des collections modernes Christian Briend. Elle les regardait parfois avant de se mettre à peindre, comme un instant de retour sur soi, dans  le silence.
 

Deux extraits des carnets de Geneviève Asse, 1993, Collection Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
Deux extraits des carnets de Geneviève Asse, 1993, Collection Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
- Georges Meguerditchian, Centre Pompidou / Dist. RMN-GP (Adagp, Paris 2013)

Pour celle qui était fascinée par l'architecture cistercienne, qui a consacré sa vie non pas à chercher la ligne d'horizon des paysages bleus de sa Bretagne natale, mais à tracer des architectures de lumière dans l'espace de la toile, ces carnets constituaient plutôt des lieux de méditation créatrice. Ils tranchent avec les toiles magistrales, dont il faut s'écarter et pour lesquelles il faut élever le regard pour les contempler pleinement. Ceux-là invitent à une observation plus intime.

"En gravant, j’écris et à la fois, je m’inscris"

La poésie l'a accompagnée toute sa vie. Elle était particulièrement sensible à celle de Victor Segalen. Elle aimait particulièrement ses poèmes, parce qu'elle y trouvait de "la lumière", elle a réalisé d'immenses toiles verticales bleues, appelées Stèles. Mais c'est avec la gravure qu'elle a accompagné plusieurs poètes. Geneviève Asse est aussi une artiste de l'écrit, à sa façon, car elle était graveuse.

"En gravant, j’écris et à la fois, je m’inscris. Je creuse, je laisse une empreinte". Elle délaisse les techniques les plus complexes, comme la lithographie, ou l'eau-forte, et préfère le moyen le plus sobre, le plus direct, celui de la pointe sèche ou du burin. "Avec le burin, il faut entrer très fort dans la plaque, le pousser comme la charrue dans la terre. Avec la pointe sèche, je fais virevolter les traits, elle est souple, plus légère. Le burin est statique, sa profondeur est une forme de structure de construction intérieure. La pointe sèche est comme un flux et un reflux, elle est douée d’un mouvement rapide qui apparaît et disparaît". Elle grave noir sur blanc, puis réhausse de couleur, à l'aquatinte ou à l'huile.

La gravure, le dessin, la peinture c'est un tout, je suis un peintre qui grave, un peintre qui dessine, mais je reste un peintre. Quand je grave, j'écris.

Elle a réalisé ces gravures très souvent pour illustrer des livres de poètes : Pierre Lecuire, Michel Butor, Samuel Beckett, Francis Ponge, ou sa grande amie Sylvia Baron Supervielle. En 1972, elle compose 12 gravures à la pointe sèche pour le livre Abandonné de Beckett. L'artiste côtoyait fréquemment l'écrivain, qui selon elle, préférait ses tableaux blancs à ses grands bleus. 

Extrait d'un livre d'artiste, gravure de Geneviève Asse, Le livre des livres I, Pierre Lecuire poemes (1974)
Extrait d'un livre d'artiste, gravure de Geneviève Asse, Le livre des livres I, Pierre Lecuire poemes (1974)
- Capture du site de ventes Artsper

Avec Sylvia Baron Supervielle, elle illustre Les fenêtres avec des aquatintes bleues et des gravures à la pointe sèche noire. Le travail de Geneviève est si précieux que ces livres sont déposés dans la réserve des livres rares de la Bibliothèque Nationale de France. 

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