Aller jusqu'au bout, Annie Ernaux

L'écrivaine Annie Ernaux à Guadalajara, au Mexique, le 4 décembre 2019. ©AFP - Ulises Ruiz
L'écrivaine Annie Ernaux à Guadalajara, au Mexique, le 4 décembre 2019. ©AFP - Ulises Ruiz
L'écrivaine Annie Ernaux à Guadalajara, au Mexique, le 4 décembre 2019. ©AFP - Ulises Ruiz
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"Écrire, c’est rechercher le réel parce que le réel n’est pas donné d’emblée. C’est un acte politique". Portrait dans l’Heure Bleue d’Annie Ernaux qui qualifie elle-même, ses livres, d’"auto-socio-biographiques".

Annie Ernaux est écrivaine et professeure de lettres française. Sa littérature, essentiellement autobiographique, lie sociologie et écriture. Issue de milieu social modeste, elle devient professeure agrégée de lettres modernes et écrit sur l’élévation sociale.

Annie Ernaux a marqué la littérature française contemporaine avec ses ouvrages à caractère autobiographique et réflexif. Elle fait figure de proue dans la littérature française avec des ouvrages tels que "La place", prix Renaudot de 1984.

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Elle est une fervente défenseuse des droits de femmes, et des minorités en général. D’ailleurs, elle s’engage politiquement depuis des années dans la politique nationale et n’hésite pas à signer pétitions et tribunes pour donner de la visibilité à ses causes politiques.

9 min

En 2021, ses livres "Passion simple" et son livre "L’Événement" ont été adaptés au cinéma, respectivement par Danielle Arbid et par Audrey Diwan

L’écrivaine prolifique publie le 10 février 2022 une nouvelle édition de "L’Atelier noir" chez les Éditions Gallimard.

Parallèlement à ses romans et récits, depuis 1982, Annie Ernaux tient un journal dans lequel elle consigne au fil des jours, ses réflexions et pensées sur la vie et ses recherches en écriture qui ont été publiées dans " L’atelier noir", et pour sa réédition l’auteure a souhaité l’augmenter de pages inédites de son journal de son livre " Mémoire de fille".

L'Heure bleue
53 min

Extraits de l'entretien

Je suis toujours dans une d’attente d’émotion.

La question de l’origine

Annie Ernaux : "Je ne me souviens pas de question sur mes origines parce que j'avais une réponse toute faite à l'époque. Venue de mon éducation chrétienne catholique, elle disait que 'Dieu a créé et mis au monde…' C'était la première phrase du catéchisme. Je n’ai jamais douté que mes parents étaient les miens. J'aurais préféré avoir les mêmes, mais plus éduqués, qui parlent le français de l’école… Et cela me tourmentait. Mais je suis très peu portée sur la psychanalyse, peut-être parce que j’en ai pas besoin".

L’âge et le temps qui passe

AE : "J’ai 81 ans. L'âge idéal pour moi s'est situé entre 45 et 60/65. Cette tranche-là a été la période pendant laquelle j'ai eu l'impression d'une plénitude et d'une grande liberté. Mais maintenant, le corps change, devient prégnant, lourd au sens propre, avec des difficultés à marcher… Je ne suis pas là pour évoquer tout ce qui peut me tourmenter. Et il n’y a pas que le corps. Je pense qu'il y a aussi le sentiment du temps change énormément. On entend à la radio du réchauffement climatique…

Dire qu’on se fiche de son apparence est de l’hypocrisie.

Si ne ne fais pas tout à fait mon âge… Cela vient peut-être de l’intérieur tout ça ! J’ai toujours des projets. Je suis toujours dans une forme d'attente d'émotions. Et c’est ce qui compte.

Tout le monde devrait, s’il le peut, rester dans l'idée de projet.

C’est un bonheur de pouvoir se projeter. C’est une chose que je n’imaginais vraiment pas lorsque j’avais 20 ans. Et plus tard lorsque mes enfants sont arrivés, je n’imaginais pas qu’un jour, ils auraient des cheveux blancs et que j’aurais des petits-enfants. Une idée qui m’a longtemps été insupportable. En réalité, cela me donne beaucoup de joie. Même si leur vie ne sera pas idyllique. Mais je suis moi-même née pendant la guerre".

Les femmes d’aujourd’hui

AE : "Ma petite fille de 18 ans m’apporte la pensée des filles d’aujourd’hui, et la vision d’elles-mêmes. Les filles de 20 ans n’ont rien à voir avec les femmes de 40, 60 ou 80 ans !

Elles ne sont pas nées de ce qui a pesé sur le corps des femmes pendant des générations : l'absence de liberté de reproduction.

La révolution du XXème siècle est l’arrivée de la pilule et de l'avortement libre. Ce progrès qui concerne les femmes était invisibilisé, et maintenant il est minoré. Ces femmes d’aujourd’hui sont déterminées à ne pas se laisser entraver".

Choisir sa vie

AE : "Je n'ai pas l'impression du tout d'avoir choisi ma vie, mais si je l'ai choisie, cela s’est fait petit à petit. A 20 ans, j’ai choisi d'écriture, ça oui. Mais lorsqu'il n'y a pas été possible d'écrire, je me suis pliée aux événements… Les sujets de mes livres s’imposent d’eux-mêmes. J'ai l'impression d'être envahie à un moment par une nécessité. Il y a des livres qui sont nés d’évènements. La mort de ma mère est à l’origine du livre "Une femme". Il y a des textes qui ont mis très longtemps à venir qui étaient des obsessions, comme le livre sur mon père, "La place", "Les années" et "Mémoire de filles". Et à chaque fois, je me dis que je dois les écrire, que je ne le ferai jamais, et à la fin, je me demande comment j’ai réussi".

La mémoire

AE : "C’est un puits sans fond qui se réactive… Je peux faire 'une descente' sur un moment de ma vie ou une personne. À ce moment-là, je ne peux pas me contenter de penser, il faut que j’écrive. J’ai ce besoin de ressaisir à nouveau des images, des noms… J’ai peur qu’avec l’âge, j’ai peur qu’elle soit moins vive.

Je ne vivais pas tellement dans le présent. Mais maintenant si : profiter d’une journée ensoleillée, de la vue depuis ma maison, ou des plaisirs comme ceux des "Rêveries du promeneur solitaire" de Rousseau… Mais rien ne me procure plus de plaisir que l’écriture. Même si parfois, je ressens de la douleur, elle me donne le sentiment d’être où je dois être. Beaucoup plus que d’être là à parler… Mais les relations humaines sont très importantes. J’ai expérimenté la solitude complète pour écrire, mais c’est difficile, il faut être imprégnée du dehors".

L’émotivité

AE : "Je suis très poreuse aux émotions, et aux autres. Je ne l’ai pas choisi. C’est compliqué. Je me suis trouvée parfois bouleversée par des conversations. J’avais l’impression d’être une caisse de résonance, une sensation particulière qui détruit. Enfant, j’ai vu un tour de magie avec une femme traversée par des lances. C’est un peu comme cela que je me vois".

La suite est à écouter…

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