Saviez-vous que Victor Hugo avait mis près de 20 ans pour écrire "Les Misérables" ?

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Saviez-vous que Victor Hugo avait mis près de 20 ans pour écrire "Les Misérables" ?

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Représentation de Cosette tirée de l'œuvre phare de Victor Hugo "Les misérables". D'après Emile Bayard, 1862
Représentation de Cosette tirée de l'œuvre phare de Victor Hugo "Les misérables". D'après Emile Bayard, 1862
© Getty - Stefano Bianchetti / Contributeur

C'est l'une de nos plus belles fresques sociales et politiques. Un roman total par lequel l'auteur impose son style et accomplit véritablement son œuvre initiale. Concrétisé en deux temps avec une interruption de 12 ans pendant laquelle Victor Hugo s'est profondément remis en question.

On vous le résume (juste pour le plaisir)

C'est le livre le plus célèbre de Victor Hugo et incontestablement, l'une des plus grandes références littéraires françaises. Un plaidoyer social dans lequel l'écrivain, connu pour ses nombreux engagements, a voulu décrire la vie des gens humbles en interrogeant les notions de justice et de dignité.

L'auteur nous emmène aux côtés du très charismatique Jean Valjean, le principal héros de son roman. Un bagnard qui vient de retrouver sa liberté après 20 années d'enfermement pour avoir volé du pain. Un abbé lui redonne espoir. Il change d'identité, fait fortune et devient maire d'une petite ville de province. Dans cette ascension et cette renaissance sociale, il rencontre Fantine, victime de la malveillance des plus forts, ainsi que sa fille Cosette, qu'il recueille bientôt comme sa propre enfant. Parallèlement, il est traqué par l'inspecteur de police Javert qui fait tout pour l'arrêter. Sans oublier le jeune Marius, porté par le rêve révolutionnaire de 1830 dont Cosette tombe amoureuse. Un roman à travers lequel nous n'avons jamais vu aussi clair, derrière le génie de son auteur qui se demande comment l'amour, la dignité peuvent sauver les misérables et faire d'eux les véritables héros de l'histoire. En effet, même le plus brutal des hommes peut être converti à l'humanité par les âmes les plus innocentes. Il s'agit de transcender le désespoir des misérables et de les hisser au rang des grandes âmes. En somme, l'amour dispose de toutes les armes pour combattre l'injustice sociale et gagner en dignité. On l'entend lui-même confier dans son œuvre que "la vie, le malheur, l'isolement, l'abandon, la pauvreté sont des champs de bataille qui ont leurs héros obscurs, plus grands parfois que les héros illustres".

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Jean-Marc Hovasse est professeur de littérature, spécialiste de Victor Hugo à qui il a consacré une biographie. Au micro de Frédérick Sigrist, dans l'émission "blockbusters", il nous a aidé à mieux comprendre la genèse du célèbre roman, et comment l'auteur a eu l'idée de ce récit épique.

Un chef d'œuvre du roman français

C'est une écriture qui dépasse le genre littéraire lui-même, une vision globale, voire encyclopédique qui confère toute l’originalité et l’ambition de cet ouvrage. Un plaidoyer qui marie un savoir-faire poétique, dramatique, riche en coups de théâtre, pour aborder tous les sujets sociétaux qui tiennent à cœur à l'auteur, n'oubliant jamais de lier ses sujets à sa passion pour les digressions historiques où il partage ses considérations vis-à-vis de la société parisienne, de Napoléon, des idées de la Révolution ou de la contre-révolution, les émeutes et barricades de juin 1832… Un microcosme littéraire et historique propre à sa plume que lui seul est capable de produire pour justifier aussitôt l'authenticité de ses combats sociaux (la lutte contre la misère, l'amélioration des conditions de vie des femmes, les droits de l’enfance, la lutte contre l'arbitraire et l'autorité démesurée, le sens de la paternité, la remise en question des conservatismes sociaux…). Toute son œuvre doit servir à édifier son lecteur sinon la société.

Au moment de se mettre au travail, Victor Hugo est au sommet de sa carrière, il compte à son actif une vingtaine d'ouvrages déployés bien sûr dans tous les genres littéraires, il est également membre de l’Académie française depuis 1841, et vient tout juste d’être nommé à la Chambre des pairs dans les rangs du parti conservateur, avec une carrière politique prometteuse en perspective. Mais son dernier roman remonte à loin ("Notre-Dame de Paris" en 1831) et il est temps de refaire valoir ses idéaux romantiques. Le biographe Jean-Marc Hovasse rappelle au passage que la concurrence est rude puisque c'est "le moment où ses grands homologues romanciers écrivent des œuvres colossales qui rencontrent aussi un grand succès. Avec d'un côté Balzac, qui construit roman par roman, son propre roman total, 'La Comédie humaine' (1830-1856). Et puis, Alexandre Dumas qui compose au même moment ses énormes romans feuilletons à succès dans la presse". Ils lui volent en quelque sorte la vedette et cet esprit d'émulation le met en condition pour démarrer une nouvelle fresque. Il entend lui aussi consacrer son chef-d'œuvre littéraire qui manque à son palmarès littéraire.

Il se met au travail en 1845, il a alors 43 ans et le livre n'a pas le titre que l'on connait. Il s'intitule encore "Les Misères". Une rédaction qui lui prend un peu plus de deux ans dans un premier temps avant qu'elle ne soit interrompue par la Révolution de février 1848 dont la construction des barricades lui donnent l'idée de raconter celles érigées 16 ans plus tôt lors de la révolution de juin 1832. Le mouvement révolutionnaire de février 1848 bouscule ainsi son projet littéraire. L'écrivain devient directement acteur des évènements nationaux en s'engageant dans la vie politique française. Il est élu député conservateur à l'Assemblée nationale de la Seconde République, obligé de mettre en suspens son récit. Une occasion non négligeable par laquelle il peut directement défendre les causes qui lui sont chères et qu’il a commencé à décliner dans la première partie de son roman resté inachevé. L'ouvrage, déjà énorme, comporte déjà les trois quarts de l'intrigue telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Les misérables en exil : un autre Victor Hugo

Suite au coup d’État de Napoléon III le 2 décembre 1851, qui met fin à la IIe République, très éphémère, il est proscrit et doit s’exiler, une première fois à Bruxelles jusqu'en 1852, à Jersey jusqu'en 1855 puis enfin à Guernesey. Huit années durant lesquelles il met totalement de côté les aventures de Jean Valjean, de Cosette et de Marius pour privilégier la composition de quelques-uns de ses plus grands recueils de poèmes dont ses "Châtiments" et ses "Contemplations". C'est une période au cours de laquelle "il murit beaucoup idéologiquement", nous explique le biographe. Une période de forte remise en question existentielle qui fait qu'il n’est plus du tout en adéquation avec l'esprit de la première partie de son roman. Il est passé à l’extrême gauche de l’échiquier politique, le résultat de 12 années d'interruption (1848-1860). Du même coup, son œuvre mélange deux périodes de création littéraire très différentes de sa vie. C'est en cela que c'est aussi une œuvre totale, car quand on cherche l'homme et l'œuvre Hugo, tout est dans 'Les Misérables'". D'ailleurs l'auteur a lui-même noté subtilement entre les deux rédactions cette césure littéraire en écrivant "ici le pair de France s'est arrêté et le proscrit a continué".

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